Peut-être connaissez-vous déjà les ``polynômes cubiques plaisants'', qui sont des polynômes très particuliers : polynômes cubiques à coefficients entiers dont les racines sont des entiers et dont les dérivées première et seconde ont également des racines entières.
En voici une étude originale et particulièrement approfondie dans le document intitulé :
dont les auteurs sont Jean-François Burnol et Jürgen Gilg. En voici la présentation que les auteurs ont écrite( les schémas ont été réalisés avec PSTricks).
Les fichiers sont téléchargeables ici :
http://manuel.luque.free.fr/NiceCubicPolynomials/NiceCubicPolynomials.zip
ou
ou
http://melusine.eu.org/syracuse/G/xint-polexpr
On cherche la description complète des polynômes de degré 3
P=(X−x0)(X−x1)(X−x2)
tel que P et P′ ont toutes leurs racines rationnelles. On dit alors que P est un polynôme (cubique) « plaisant ». Ce problème a été résolu il y a longtemps (Chapple 1960, Zuser 1963) mais dès le degré 4 n'est de nos jours pas complètement compris.
Le texte de J.-F.~B. et J.~G. montre que P est plaisant si et seulement si la « résolvante de Lagrange »
y=x0+x1j+x2j2
est, modulo l'action de Q∗ par multiplication, un carré dans Q(j)
(on a posé j=exp(2πi/3)).
La résolvante de Lagrange y dans le plan complexe a l'ambiguïté du choix de l'ordre des racines: le texte explique (on suppose ici les racines réelles) que ceci correspond à une orbite (de cardinalité 6 si les racines sont distinctes) sous l'action du groupe des symétries du triangle équilatéral de sommets 1, j, j2.
Il est important que dans la condition énoncée ci-dessus pour que P soit plaisant, on considère y seulement modulo l'action multiplicative de Q∗: non seulement parce que par exemple multiplier par 5 les 3 racines ne modifie certainement pas le fait d'être plaisant pour P, tandis que 5 n'est pas un carré dans Q(j), mais aussi parce que remplacer x0, x1, x2 par −x0, −x1, −x2 ne modifie pas non plus le fait d'être plaisant, mais que −1 n'est pas un carré dans Q(j).
D'une manière générale, on peut appliquer une transformation affine aux racines et donc toujours supposer que P=X(X−a)(X−1), et si l'on regarde alors ce que signifie pour y=1+aj d'être un carré dans Q(j), modulo Q∗, on obtient une paramétrisation de la forme a=(w2−2w)/(w2−1), w rationnel.
Ceci peut se reformuler de plusieurs manières par exemple que les (X−u2)(X−2uv)(X−v2) pour u et v rationnels donnent toutes les solutions, à transformation affine des racines près. Pour des racines soient entières on prend u et v entiers et on autorise encore un facteur, en particulier il faut parfois multiplier par 3 les racines de P pour que celles de P′ soient entières.
Dans le contexte rationnel, le texte explique qu'avec la formule a=(w2−2w)/(w2−1) il y a 12 valeurs de w qui donnent des X(X−a)(X−1) équivalents modulo les transformations affines des racines (en en maintenant une en 0 et une autre en 1). Ceci s'exprime par 12 transformations homographiques de w qui donnent une action du groupe diédral D12 de cardinalité 12. Le texte explique que géométriquement ce D12 est à voir comme le quotient D24/{±e} du groupe des symétries du dodécagone par son centre.
Le texte diffère des approches trouvées dans les références bibliographiques non seulement par l'intervention des groupes diédraux, mais aussi parce que les approches habituelles se contentent de ramener le problème à celui des solutions rationnelles de l'équation a2−a+1=d2, ou de manière équivalente, des solutions rationnelles à l'équation a2−ab+b2=1, mais ne déterminent pas les conditions d'unicité dans les paramétrisations obtenues.
Par exemple ici, une condition d'unicité dans le cas rationnel est 0<w<2−√3, pour les polynômes avec trois racines distinctes, prises à équivalence près sous les transformations affines.
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Figure 1 |
Racines de X(X−3)(X−8) et mise en évidence du niveau
13=PGCD(43,3,6,8) (qui est PGCD(4,9,18,24)/3).
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Figure 2 |
L'application ↦a=w2−2ww2−1
Les deux valeurs w1 et w2 de même image a vérifient s=w1+w22=(1−a)−1, donc a=s−1s et le graphe en est donné en vert. Le fait
que w↦w−22w−1 échange w1 and w2 n'est pas représenté.
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Figure 3 |
Ensemble elles forment une orbite de l'action d'un groupe d'homographies isomorphe à D12 (voir la légende de la figure 4) et ces douze valeurs de w sont celles telles que X(X−1)(X−a(w)) sont dans la même classe d'équivalence (permutation des racines, transformation affine des racines) de X(X−3)(X−8).
On a indiqué l'axe de symétrie correspond à l'invariance du graphe sous (x,y)↦(1−y,1−x), ce qui signifie que
1−w=f(1−f(w)). Avec σ(w)=1−w, ceci correspond à
σ=fσf, ou encore (fσ)2=Id. Plus généralement, {σ,fσ,f2σ,f3σ,f4σ,f5σ} donne tous les éléments d'ordre 2 de D12, excepté l'élément central non trivial.
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Figure 4 |
L'application w↦a(w)=w2−2ww2−1 qui paramétrise les polynômes cubiques « plaisants » est simplement l'élévation au carré, appliquée à Q(j), projectivisée vers le quotient Q(j)/Q∗.
D'un point W dans le plan complexe, hors des lignes de symétrie de l'hexagone des racines sixièmes de l'unité, six points sont obtenus par l'action des symérties D6 du triangle équilatéral des racines cubiques de l'unité; et douze points par l'action du groupe D12 des symétries de l'hexagone, qui contient z↦−z. La projection centrale de l'origine sur la droite 1+Rj donne alors12/2=6 points 1+wj (ils sont distincts). Élever au carré 1+wj (ou les points de la W-orbite) dans le plan complexe et projeter donne 6 points 1+aj (ils sont distincts). Si w est rationnel alors les a le sont aussi (1+aj=[(σ(1+wj))2], z↦[z] est la projection, σ∈D12).
La figure est avec w=15,qui donne a=38.
Une autre orbite sous D12 dans le plan complexe est obtenue de la première par une rotation de 90 degrés suivie d'une homothétie de rapport √3, qui remplace W par le point W′ indiqué. Donc après projection nous avons en tout 12 valeurs de w. Si on élève au carré, avant de projeter, on obtient 6 points sur la droite, les mêmes que précédemment ((i√3z)2=−3z2 donne la même projection que z2).
Cela signifie au total qu'il y a douze w∈Q donnant les six a d'une orbite de l'action de D6 sur 1+Qj∪{∞}.
Les douze points 1+wj sur la droite sont l'orbite d'une action projective sur 1+Qj de D24/{±Id} avec D24 le groupe des symétries du dodécagone.
L'action dans le plan de D24 (qui ajoute z↦iz à D12) ne laisse pas stable Q(j) car i∉Q(j). Mais i√3∈Q(j), donc l'action projective induite sur 1+Rj∪{∞} laisse stable 1+Qj∪{∞}.
Le secteur ombragé d'angle 30∘ est un domaine fondamental pour l'action of D12 sur le plan, et sa moitié inférieure d'angle d'ouverture 15∘ un domaine fondamental pour D24. Sur la droite 1+wj cela correspond à la restriction 0<w<2−√3 (car on exclut les points venant de l'intersection de la droite avec les axes de symétrie).
Bonus
Dans le cas d'une équation cubique à coefficients réels P=0 avec trois racines, celles-ci sont les abscisses des sommets d'un triangle équilatéral dont le rayon est égal à la distance horizontale entre les deux extrema locaux du graphe de la fonction polynomiale; l'animation le met en évidence en faisant varier le second terme de l'équation P=u, ce qui correspond à intersecter le graphe avec une droite horizontale.
Une animation au format SVG est accessible sur le lien :
http://manuel.luque.free.fr/NiceCubicPolynomials/animcuberoots.html
Les fichiers sources sont dans l'archive .zip indiquée au début. Les animations ont été créées avec le package animate d'Alexander Grahn.
Une animation complémentaire (de Jürgen Gilg) en rapport avec la figure 4, au format SVG est visible ici :
http://www.le-gilgomat.de/NiceCubics.html
ou
http://manuel.luque.free.fr/NiceCubicPolynomials/animfig4.html
Les explications sont sur la première animation, le fichier source a été inclus dans l'archive .zip.